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Making-of 

Vu de Rive droite - écrit le 3 février 2015 quelques heures après avoir rencontré Angel Villar pour la première fois.

Sur le trottoir, tu es sonnée, tu as le tournis. En face de toi, les quais et la place de la bourse. La nuit est tombée, il est 19 heures. Derrière toi, la résidence et l’appartement que tu viens de quitter. Tu y as passé cinq heures. En y entrant en début d’après-midi, tu ne le connaissais pas. Maintenant, tu sais quels sont les livres sur les étagères, que la version espagnole de Don Quijote est placée juste à côtés des poèmes de Garcia Llorca. Tu sais que dans cet appartement au quatrième étage, Angel vit seul avec ses souvenirs et ses photos au mur. Tu te retournes et regardes sa fenêtre. La lumière de son salon s’éteint.

Sur le pas de la porte, lorsque tu t’apprêtais à partir, vous échangiez quelques mots et il t’a serré la main très fortement en te frottant l’épaule. Ça t’a gêné et ému. Tu n’as jamais été très douée pour les gestes d’affection. Depuis, tu es troublée par cet espagnol de 92 ans qui a traversé les Pyrénées à pieds en 1939, a connu les camps de rétention, a été balloté de Perpignan à Orléans avant d’arriver à Bordeaux et de s’engager dans la résistance. 

Tu as la tête pleine. Un entretien de cinq heures mené à bâtons rompus, sans pause, juste le temps de boire un verre d’eau, ça ne t’était pas encore arrivé. « Il a plus d’énergie que moi », penses-tu.

Tu n’as pas envie de rentrer. Pas encore. Il est trop tôt. Tu veux marcher. Des joggeurs te bousculent. Tu t’allumes une clope. Une après-midi sans t’en griller une : joli record.

Tu regardes le Pont de Pierres. Angel t’en a parlé pendant une heure. Tu penses à Pablo Sanchez, cet espagnol qui a désamorcé la bombe que les allemands avaient posée pour le faire sauter. Il y a une plaque commémorative. Tu ne l’as jamais vue. Tu ignorais cette histoire jusqu’à hier.  

Tu aperçois le Cours Victor Hugo. Tu as envie d’aller au bar des Dos Hermanos. Tu aimerais entendre parler espagnol. Comme un sas de décompression avant de rejoindre le silence de ton appartement. Tu ne sais plus vraiment à quelle époque tu vis. Pendant plusieurs heures, tu as vu des photos d’un Bordeaux que tu ne connaissais pas, celui de la guerre. Tu essaies de l’imaginer. Quand Angel prononçait les Capucins ou Gambetta, tu avais l’impression qu’il te parlait d’une autre ville. C’était juste une autre époque.


Tu regardes de nouveau la fenêtre de son salon. Tu penses à « L’art de voler », la bande dessinée de Antonio Altarriba que tu as lue hier. Le père de l’auteur se jette du haut du quatrième étage à l’âge de 90 ans. Lui aussi a traversé la guerre civile, l’exil en France et la seconde guerre mondiale. Comme Angel.

Tu chasses cette pensée de ton esprit. Tu te mets à marcher. 

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